Il y a des moments dans la vie où il est nécessaire de dire qui l'on est. Il n'y a généralement pas d'estrade pour crier aux quatre coins de la place, parce que, entre autres, il n'y a généralement pas de voix qui porte aussi loin. C'est que lorsqu'une personne doit dire qui elle est, de manière urgente, elle a les parois de la gorge très rapprochées, il y a beaucoup de pression, la gorge est la paroi d'un barrage plein d'eau. C'est pourquoi c'est le moment du corps, de dire sans parler, et l'expression du corps libéré est la danse. Ceux qui ont essayé le savent.

Aller à une fête, danser jusqu'à tomber, apercevoir un beau visage brillant dans les lumières électriques d'une boîte de nuit. Arretez le corps: laissez vos bras dire qui vous êtes, laissez vos hanches dire qui vous êtes, laissez votre cou finir par dialoguer avec un autre cou en sueur, qui a la patine de la fureur, le signe du scandale joyeux, la nuque dans la bouche de cette personne avec qui vous avez parlé non pas avec votre voix mais avec votre torse. Celui qui te connaît mieux que ceux/celles de l'endroit d'où tu viens, parce qu'ici on t'écoute, parce qu'ici on te laisse. Danser pour se dire librement au petit matin, quand les règles dorment. Ceux qui ont essayé le savent.

Un soir, une femme en robe dorée distribuait des fruits dans la discothèque. Un soir, un garçon au fond de la salle, dansait seul, extatique, heureux, une belle licorne. Un soir, un ours à la fourrure rose nous a accompagnés, il s'est blotti contre moi. Hier soir, nous avons dansé et nous étions, à nouveau, plus que jamais. David regarde à l'arrière-plan, tout en posant le verre sur la table basse. Sur les canapés, les vêtements qu'ils ont échangés, ceux qu'ils portaient avant de sortir la veille, les accessoires pour la fête. Sa sœur et ses amis sont là.

Au Portugal, il y avait une réunion dominicale chez David. On y parlait autour d'un verre de vin de tout ce qui s'était passé la veille, lors de la dernière fête, aux premières heures du matin. Le corps peut-être endolori par l'effort (la douleur qui vient après le sport, après le sexe, après une longue marche en plein air), iels énuméraient les aventures, les corps défilaient, iels savouraient à nouveau les regards et les proclamations, et venait l'écho de la chorégraphie. A la fin, à chaque fois, une amie de David, présente ou non ce soir-là, lui disait: David, emmène-moi danser à nouveau, emmène-moi danser.

Cette exposition est la réponse de David, sous forme de peintures grand format, à ceux et celles d'entre nous qui lui ont demandé la même chose. C'est un dimanche après-midi, il vient de nous raconter ce qui s'est passé et nous venons de lui demander de nous emmener danser. Alors il peint et nous dit: venez. Ces tableaux sont la peinture de ces corps dansants, imaginaires ou vus, composés avec la somme des souvenirs, des photographies, des impulsions de ces heures de nuit et d'aube. Elles sont l'expression d'un acte aussi identitaire que festif. Car c'était la nuit et c'était la danse: la fête des corps et des caractères, la fête du laisser être. Le regard de David a récupéré tous ces moments et des moments similaires dans d'autres cultures et d'autres époques pour nous inviter à l'épiphanie, à sortir dans la même manifestation. Tout ce que vous voyez dans cette salle est un seul et même geste magnifique qui allie musique, nuit, mystère, secret, célébration et amour. Ceux qui l'ont expérimenté le savent.

— Javier Casacuberta, 2022/01/04